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Les Biosciences en Région Centre-Val de Loire – Réseau Thématique de Recherche

Comment le système immunitaire du nouveau-né apprend-il à tolérer les bactéries de son intestin ?

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Notre rapport avec le monde microbien commence tôt dans la vie, peut-être même avant la naissance ; (dans l’utérus), mais c’est à sa naissance que le nouveau-né est exposé à une multitude de bactéries, levure, champignons et virus plus ou moins protégé par les anticorps maternels dans le colostrum et le lait contre les pathogènes ; par la suite, l’organisme du nouveau-né apprend à coexister pacifiquement avec la myriade de microbes qui ne font pas partie intégrante de son soi.

Notre intestin est en symbiose avec 10 fois plus de bactéries que de cellules du corps, et leur fournit de de quoi se nourrir et se loger, tout en utilisant leur capacité à digérer les aliments, synthétiser des métabolites essentiels, inactiver des toxines et prévenir la colonisation par les agents pathogènes.

L’intestin colonisé par des bactéries à la naissance voit sa flore augmenter lentement en nombre et en diversité, plus spécialement au moment du sevrage quand l’alimentation se diversifie et accélère brusquement la richesse bactérienne.

Tout compte-fait, nous passons la majorité de notre existence à combattre les germes infectieux et si le système immunitaire du nouveau-né réagissait de la même manière que celui de l’adulte, l’individu ne serait plus qu’une « torche auto-inflammatoire ».

Ainsi se pose la question des mécanismes de régulation du système immunitaire en termes d’immaturité (càd que les cellules immunitaires du nouveau-né ont un moindre niveau de réactivité les cellules adultes) ou de répression de son (hyper)activité pour permettre aux bonnes bactéries de s’installer avec cependant le risque concomitant d’une sensibilité accrue aux pathogènes.

En partant de cette 2ème hypothèse, on a constaté la présence chez le nouveau-né de cellules érythroides CD71+ (récepteur à la transferrine) supprimant la réponse immunitaire des bactéries intestinales (commensales). Le transfert des splénocytes CD71 contribuait à supprimer la réponse immunitaire chez la souris.

En fait les cellules CD71+ réduisent l’hyperréactivité du SI contre l’arrivée des bactéries commensales dans l’intestin; et comme elles se raréfient avec l’âge, elles permettent l’initiation de la réponse immunitaire de l’adulte contre les germes pathogènes, tels que E. Coli et L. Monocytogenes.

Cette étude est appuyée par celle montrant que dans le colon de la souris adulte, les produits de fermentation de certaines espèces bactériennes (tel le butyrate) peuvent accélérer la différenciation en cellule T régulatrices qui peuvent aider à induire la tolérance dans le système immunitaire des adultes.

Cependant, le fait que ces bactéries étaient présentes surtout chez l’adulte amena à suspecter d’autres bactéries ; et l’idée que ce serait les premières bactéries que nous rencontrons qui sont cruciales pour notre développement immunitaire est appuyée par l ‘« hypothèse de l’hygiène ». Selon cette dernière, l’exposition précoce aux microbes détermine notre aptitude à échapper à d’éventuels troubles immunitaires ultérieurs.

Par exemple, des analyses épidémiologiques chez les nourrissons humains ont constaté que l’utilisation d’antibiotiques au cours de la première année de vie augmente la probabilité de développer une maladie inflammatoire de l’intestin et que les enfants élevés à la campagne ont tendance à être plus résistants aux allergies.

Des études chez la souris ont montré des effets similaires et les chercheurs ont rapporté que le traitement avec des antibiotiques de rongeurs nouveau-nés augmente leur sensibilité à l’asthme allergique, tandis que l’exposition aux microbes de la flore intestinale en début de vie les protège contre le développement ultérieur de troubles à médiation immunitaire.

Par ailleurs, on pensait communément que notre système immunitaire est engagé dans un processus actif permanent de tolérance vis-à-vis des commensaux.

Et lors d’une infection de l’intestin, le système immunitaire répond contre les commensaux aussi bien que contre le pathogène à tel enseigne que des lymphocytes T mémoire recirculent et se transforment en T inflammatoires dirigés cointe les commensaux.

Il n’y a pas comme on pouvait s’y attendre de lymphocyte T régulateur supprimant définitivement la réponse contre les commensaux. Ces observations conduisirent à considérer les événements avant le sevrage lorsque la microflore intestinale et le système immunitaire de l’intestin se développent conjointement, chacun façonnant l’autre dans une relation spatio-temporelle.

Les premières interactions entre le système immunitaire et certaines bactéries intestinales inoffensives, comme Lachnospiraceae, chez les souriceaux nouveau-nés ont été analysées au cours de 3 périodes, néonatale de J0 à J10, post-néonatale de J10à J21 et au sevrage à J21.

Fait remarquable, les cellules T régulatrices de ces 2 bactéries ne se développent dans le colon qu’entre J10 et J20; de surcroît il semble cette phase est initiée par une baisse dans le lait du facteur de croissance épithélial (EGF) entraînant une baisse concomitante dans la lumière intestinale et l’ouverture du passage au travers des cellules caliciformes (goblet-cell asssociated antigen passages, GAPs) des antigènes (ou produits bactériens) de la flore commensale pour aller stimuler les cellules T régulatrices résidentes de la lamina propria.

Ainsi le système immunitaire apprend durant cette période à ne pas déclencher de réponse inflammatoire, d’abord dans le colon puis dans l’intestin grêle. Ce qui est étonnant c’est que les voies plus classiques de passage des antigènes ne sont pas ouvertes telles que les cellules M, les dendrites inter-épithéliaux des cellules dendritiques et la perméabilité intestinale

Après J20 ; la présence plus abondante de microbes bloquerait de nouveau les passages GAPs via les TLR et signe ainsi la fin de la période au cours de laquelle le système immunitaire a pu développer une tolérance aux bactéries spécifiques.

Si on bloque les passages GAP pendant la période critique, ou si on décale la période pendant laquelle le blocage a lieu, on empêche le système immunitaire de l’intestin de développer des cellules T régulatrices spécifiques aux antigènes commensaux, ce qui rend les souris plus vulnérables à l’inflammation du colon induite par le sulfate de dextran (DSS).

Ces résultats indiquent que cette tolérance est particulière puisque restreinte aux microbes qui colonisent le colon tôt dans la vie et donc ne s’applique pas à tout le microbiote.

Il est difficile en l’état actuel des connaissances d’extrapoler aux autres mammifères dont l’homme bien que le lait de toute espèce animale est riche en EGF mais la concomitance entre baisse de l’EGF et établissement de la tolérance reste à démonter non seulement chez l’homme mais aussi chez nos espèces domestiques.

D’autres expérimentations avaient montré le rôle prépondérant de certaines bactéries pour mettre en route une réponse protectrice des muqueuses et l’interaction des anticorps du lait avec l’installation des bactéries. Peu à peu, la maxime de Saint Augustin, ‘Nascimur inter urinam et feces (nous naissons entre l’urine et les feces) prend toute son importance dans ses conséquences sur les capacités de notre système immunitaire.

H.S.

Pour en savoir plus, une synthèse reprenant différents aspects de la tolérance chez le nouveau-né :

  • How Do Infant Immune Systems Learn to Tolerate Gut Bacteria ? D. Kwon, The Scientist, January 11, 2018.

Et encore :

  • Microbial antigen encounter during a preweaning interval is critical for tolerance to gut bacteria. Knoop KA, Gustafsson JK, McDonald KG, et al. Sci Immunol. 2017;2(18):eaao1314
  • Nabhani, Z A, et al (2017) GAPs in early life facilitate immune tolerance, science Immunology 2, eaao1314 (2017) Dec 15, 2017, doi: 10.1126/sciimmunol.aar2465
  • http://immunology.sciencemag.org/lookup/doi/10.112.
  • Mind the GAP, for Tolerance to Gut Bacteria , ML Alegre 20 February 2018 https://doi.org/10.1111/ajt.14682
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